- BRÉSIL - La conquête de l’indépendance nationale
- BRÉSIL - La conquête de l’indépendance nationaleL’indépendance politique acquise par le Brésil, au début du XIXe siècle, influe sur sa vie économique. Le roi du Portugal, fuyant Napoléon, se réfugie à Rio en 1808 et ouvre aussitôt les ports brésiliens au commerce extérieur. Le pacte colonial est aboli: désormais, les navires et les produits étrangers entrent librement au Brésil, en échange d’un droit égal à 24 p. 100 de la valeur des marchandises. Le Blocus continental fait que la grande bénéficiaire de cette mesure est l’Angleterre, qui obtient d’ailleurs en 1810 une réduction des droits de douane de 15 p. 100 pour ses marchandises, entre autres avantages. Ce traité de 1810 est un contrat léonin dont le Brésil essaie en vain de limiter les effets par quelques mesures en faveur du commerce portugais et français. Ses conséquences apparaissent vite: déséquilibre de la balance commerciale, ruine de la marine marchande, impossibilité de créer une industrie.L’indépendance ne fut proclamée qu’en 1822. Elle achevait de faire du Brésil une colonie économique de l’Angleterre. Cette situation ne cessera qu’avec la Première et surtout la Seconde Guerre mondiale, au cours desquelles les États-Unis reprendront le rôle jusqu’alors tenu par l’Angleterre. À la période de domination britannique correspondent les deux cycles du café, à celle des États-Unis le cycle de l’industrialisation.1. L’économie: d’une domination à l’autreLe caféPremier cycleSelon la tradition, c’est en 1727 que le premier plant de café fut introduit de Guyane au Brésil. Pendant cinquante ans, le café est presque exclusivement cultivé dans la capitainerie du Pará, mais, en 1761, il s’implante dans celle de Rio. Sa culture se développe d’abord autour de la baie, puis gagne la vallée du Paraíba au nord de la ville, entre la serra do Mar et la serra da Mantiqueira. C’est dans cette vallée, où passent les routes de Rio à Ouro Preto et à São Paulo, que va se développer, au XIXe siècle, la première économie caféière du Brésil, encore liée à l’esclavage. L’historien américain Stanley Stein a étudié ce premier cycle du café dans le municipe, assez représentatif, de Vassouras. Très tôt on y trouve deux types d’agriculteurs: de grands fazendeiros , possesseurs de nombreux esclaves, et qui se consacrent à la culture du café, et de petits sitiantes qui pratiquent surtout la culture vivrière.À l’origine, les fazendas ne disposaient que d’installations assez primitives et le lancement des exploitations exigeait moins de capitaux que la création d’un moulin à sucre. Le café a donc été, comme l’or, une activité plus «démocratique» que la canne. Cependant, une politique de mariages entre fazendeiros conduisit à une concentration de la propriété et de l’exploitation. Entre familles alliées, on n’hésite pas à se prêter de l’argent à titre gratuit, sans compter les prêts hypothécaires ou ceux que font, de Rio, les maisons de commissions, intermédiaires entre les planteurs et les exportateurs. Il s’agit alors de prêts de campagne à 12 ou 18 % garantis par les récoltes. Enfin les banques, après 1850, aident les planteurs, car les capitaux, jusqu’alors utilisés pour le trafic des esclaves, deviennent disponibles après l’abolition de la traite. Ce développement du crédit est particulièrement intéressant pour les grandes fazendas qui s’étaient endettées avant 1850 pour accumuler de grandes réserves d’esclaves, mais néfaste aux petites fazendas qui n’ont pu faire ces réserves.La culture du café se fait sur brûlis ; l’arbre peut atteindre six mètres de haut et un esclave cueille en moyenne 75 livres de fruits par jour. Le fruit est mis à sécher sur la plate-forme (terreiro ) qui s’étend devant la casa grande du fazendeiro . Puis il est écrasé par un engenho de pilões (machine à piler) pour donner la graine qui est triée selon sa taille. Certains fazendeiros , dès 1852, possèdent une machine à vapeur, mais la plupart, jusqu’en 1870, n’utilisent que la force hydraulique.La production et la surface cultivée n’ont cessé de s’étendre jusqu’en 1860. Après cette date apparaissent déjà des signes de fatigue. Le nombre des esclaves diminue et leur âge moyen augmente. Les sols s’épuisent. Les sitiantes spécialisés dans les cultures vivrières ne peuvent plus avoir d’esclaves. Ils deviennent agregados – presque tenanciers – des fazendeiros . La production des subsistances diminue. Leur prix augmente et le mouvement est encore accentué par les manœuvres spéculatives des gens de Rio. De plus, les procédés de culture sont restés trop traditionnels. Le caféier est atteint de maladies. Les fazendeiros s’endettent.Pourtant, depuis 1856, on construit le chemin de fer qui, de Rio, dessert la vallée. Vassouras par exemple est atteinte en 1862. Jusque-là il fallait, après la récolte, mobiliser le tiers des esclaves pour conduire, sous la direction de l’arreador , le convoi de mulets chargés de café jusqu’à Rio. Une mule ne pouvait porter que huit arrobes (1 arrobe = 12 kg env.), et les chemins étaient souvent défoncés par les pluies ou inondés de fleuves de boue. En 1855, le transport absorbait plus du tiers du prix du café. La voie ferrée le rend beaucoup plus aisé: il suffit désormais de quelques chars à bœufs pour transporter le café jusqu’à la gare la plus proche. Et l’on voit l’agriculture se développer plutôt le long des voies ferrées.Après 1870, les maux déjà signalés s’aggravent. S’y ajoutent l’invasion des fourmis et des sauterelles, ainsi qu’un assèchement du climat dû à la destruction des forêts. L’affranchissement progressif des esclaves amplifie la crise: tous les enfants nés après le vote de la loi Rio Branco de 1871 sont libres; la «loi des sexagénaires» de 1885 affranchit tous les esclaves de plus de soixante ans; la lei aurea du 13 mai 1888 proclame l’émancipation totale. Enfin le marché européen connaît une longue dépression économique: le prix du café, qui n’avait cessé de monter jusqu’en 1873, s’effondre de façon spectaculaire et se relève ensuite avec peine.C’est la fin du premier cycle du café. Il avait permis, à Rio et dans la vallée du Paraíba, le développement d’une société de planteurs et de commerçants assez cultivés, au courant des modes de Paris et de Londres, reflet au-delà des mers de la civilisation européenne contemporaine du second Empire.Second cycleEn même temps, les pays industriels augmentent beaucoup leur consommation de café. De 10 millions de kilos en 1832, celle de la France passe à 70 millions en 1870. Parallèlement, aux États-Unis, la consommation par habitant double entre 1844 et 1902. À la suite de la crise de 1873 est fondé à Francfort le premier syndicat international pour contrôler le commerce du café, et, en 1880, se crée à New York un véritable trust de l’importation et de la vente du café.En 1881, São Paulo produit 1 200 000 sacs de café et Rio 4 400 000. En 1892, la production des deux régions s’équilibre: 3 700 000 sacs pour chacune. Mais, dès 1906, São Paulo produit 15 400 000 sacs, le reste du Brésil 4 900 000 et les autres pays 3 700 000. La récolte de São Paulo représente alors 64 p. 100 de la production mondiale. Elle atteindra le chiffre record de 21 850 000 sacs.Les crises de 1900 et 1929Cependant, le café de São Paulo a subi deux grandes crises, celle de 1900 et celle de 1929. L’État de São Paulo a connu une grande fièvre de plantation à la fin du XIXe siècle. Sans doute la crise cyclique de 1896 avait secoué le marché international. Mais la dévaluation du milreis (cruzeiro ) avait empêché la répercussion de la crise internationale sur le marché brésilien. Or, en 1900, le gouvernement revalorise le milreis . Le café brésilien, devenu trop cher, se vend très mal à l’étranger. Le Brésil a donc ressenti la crise de 1896, mais avec retard. D’ailleurs le marasme subsistera longtemps. En 1906, il suffira d’une récolte record pour provoquer un effondrement des cours. Là-dessus éclatera la crise internationale de 1907. La reprise s’affirmera seulement en 1912, malgré les mesures rapides du gouvernement (limitation des plantations et des exportations, constitution d’un stock).La crise de 1929, prolongement de la crise mondiale, marque pour le Brésil la fin du second cycle du café. Ce n’est pas que le café ne fasse pas, après 1929, de nouvelles conquêtes; mais c’est l’industrie qui devient maintenant l’activité motrice. L’État de São Paulo est intervenu pour juguler la crise qui a commencé à se manifester au lendemain de la guerre. Mais, en 1931, l’Institut du café de São Paulo, qui rachetait les excédents grâce à des emprunts anglais, doit cesser ses paiements. Le gouvernement fédéral reprend l’affaire en main, contracte un nouvel emprunt à l’Angleterre et crée un Département national du café, chargé du contrôle de toutes les affaires caféières. Celui-ci perçoit un impôt pendant cinq ans sur chaque pied nouvellement planté. Il reprend la politique de stockage, mais seulement pour les cafés de bonne qualité, les autres étant régulièrement détruits: du 1er juillet 1931 à la fin de l’année 1937, 34 millions de quintaux ont ainsi été brûlés ou noyés. Pour financer stockage et destructions, des taxes élevées sont instituées sur les exportations.Les pionniers du São PauloL’extraordinaire progression du café dans l’État de São Paulo s’explique par le dynamisme des pionniers héritiers des bandeirantes . Mais il faut distinguer les leaders de la masse. Les premiers appartiennent souvent à des familles installées depuis assez longtemps dans le massif cristallin ou la dépression périphérique, tel les Almeida Prado, les Itu. Depuis ce foyer initial, il vont vers l’ouest, découvrent une tache de terra roxa , la mettent en valeur, puis la revendent et vont plus loin à la recherche d’une nouvelle terra roxa . Leader aussi le coronel , commerçant enrichi qui s’est fait beaucoup d’amis auprès des petites gens qui lui doivent quelques factures. Leader le grileiro , le «grillon», falsificateur de titres de propriété, homme très utile dans une région pionnière où il est fort difficile de retrouver le premier occupant, de savoir si cet occupant a régulièrement acquis un titre de propriété. Leaders enfin les marchands de terres, capitalistes qui font des lotissements, supplantés parfois eux-mêmes par de véritables sociétés comme la Paraná Plantation, d’origine anglaise, qui possédait plus de 515 000 alqueires de terre (1 alqueire = 25 ha env.) dans le nord du Paraná avant son rachat par un groupe brésilien.À côté des leaders, la masse. Entre 1827 et 1936, l’État de São Paulo reçoit 3 millions d’immigrants. Le mouvement est important surtout à partir de 1886, avec un creux entre 1900 et 1910 à cause de la crise, pendant la Première Guerre mondiale et après 1929. La répartition ethnique manifeste la domination des Méditerranéens (55 p. 100 dont 30 p. 100 d’Italiens, 13 p. 100 de Portugais et 12 p. 100 d’Espagnols), puis des Brésiliens (24 p. 100), enfin des Japonais (6 p. 100). Les Brésiliens viennent du nord-est: ils remontent le São Francisco dans les «vapeurs» et prennent le train à Pirapora. À São Paulo, l’Hospedaria dos emigrantes est à la fois un hôpital, un hôtel et un bureau de placement. L’immigrant devient, en général, un «colon», c’est-à-dire un ouvrier agricole. Il aura donc tendance à aller toujours de l’avant pour qu’on lui offre des salaires plus élevés. Il favorise donc la progression du café.Vers 1905, la frange pionnière a atteint le plateau et occupé même les grandes taches de terra roxa qui couvrent sa partie septentrionale. Le plateau est relié à São Paulo et à Santos par trois voies ferrées correspondant aux trois grandes directions de l’expansion: la Companhia Mogiana vers le nord, la Paulista vers le nord-ouest, la Sorocabana vers l’ouest.Vers 1929, le sud comme le nord du plateau sont occupés par le café. Le chemin de fer atteint le rio Paraná. À côté de la fazenda existe souvent le sitio du petit propriétaire exploitant. Vers 1950, toutes les terres ont été vendues dans l’État et le café a envahi l’État voisin de Paraná. Les villes se sont développées au fur et à mesure. En 1940, Marília, sur le plateau, dans une position assez avancée, compte 23 750 habitants.Cacao et caoutchoucParallèlement à celle du café, la culture du cacao s’est développée autour de la petite ville d’Ilhéus au sud de Bahia. La production brésilienne (dont Ilhéus représente 95 p. 100) est passée de 316 000 quintaux en 1913 (4e rang dans le monde) à 1 280 000 en 1937 (2e rang). Les romans de Jorge Amado décrivent la société cacaoyère d’IlhéusLa collecte du caoutchouc est restée limitée à la forêt équatoriale d’Amazonie. On connaissait depuis longtemps l’existence de cette gomme, mais son importance n’a été reconnue qu’en 1840, lorsque l’Américain Goodyear a découvert le procédé de la vulcanisation et que sont apparues peu après la bicyclette puis l’automobile. La collecte se développe alors en Amazonie. Il existe deux catégories d’arbres producteurs: l’Hevea brasiliensis , dans les zones humides, qui donne la borracha , et le Castilloa elastica , sur la terre ferme, qui donne le caucho . Le prix du caoutchouc atteint son maximum sur le marché international en 1910. La forêt amazonienne fournit alors plus de la moitié de la production mondiale. Pour récolter la borracha , les seringueiros remontent les fleuves, recherchant les zones où la densité est élevée. Entre les arbres, ils taillent un chemin à la machette et s’abritent dans une hutte de feuilles et de branchages sommairement construite. Chaque matin, les arbres du lot sont incisés et, chaque soir, le latex est recueilli dans des godets placés au bas de la blessure. La vie du seringueiro a été décrite par le romancier Ferreira de Castro (1898-1974). Pour le caucho , les caucheros se déplacent dans des forêts moins denses, où ils saignent mais aussi abattent les arbres. Tous ces travailleurs sont dans la dépendance des propriétaires ou concessionnaires qui leur offrent le voyage pour venir sur les lieux de travail, mais à qui, ensuite, ils doivent acheter toutes les denrées qu’ils consomment. Ils paient en caoutchouc. Mais ces exploitants sont eux-mêmes dans la dépendance de commerçants qui les commanditent: les aviadores . Les uns comme les autres subissent la concurrence des marchands ambulants, les regatões dont les embarcations remontent les fleuves.À partir de 1912, le caoutchouc brésilien subit la concurrence des plantations malaises, sauf pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la Malaisie est occupée par les Japonais. Le constructeur automobile Ford essaie de lancer des plantations en Amazonie (Fordlandia): c’est un échec.Développement des cultures tempéréesLes cultures tempérées se sont développées dans le sud du Brésil (États de Paraná, Santa Catarina et Rio Grande do Sul) et en particulier autour de Pôrto Alegre, capitale du Rio Grande do Sul, grâce à l’immigration allemande et italienne. Celle-ci s’est installée dans la plaine du rio Jacuí et de ses affluents septentrionaux, laissant le Sud à l’élevage traditionnel. La colonisation allemande a été encouragée dès le deuxième quart du XIXe siècle, mais elle s’est développée surtout dans la période 1850-1880 et au début du XXe siècle. Au cours de cette dernière période, les Italiens sont arrivés aussi. Entre 1824 et 1914, le Brésil avait reçu 48 000 immigrants allemands; entre 1918 et 1940, il en reçoit 100 000 dont 30 000 dans le Rio Grande do Sul. Mais, parmi ces derniers, beaucoup repartent; 18 000 seulement restent au Rio Grande de façon définitive. La population totale du Rio Grande qui, en 1822, était de 100 000 habitants atteint en 1950 le chiffre de 4 millions, dont 17 p. 100 d’Allemands.Vers 1890, le front pionnier sort de la plaine et monte sur le plateau septentrional. Les productions essentielles restent les mêmes: canne à sucre, tabac, pomme de terre, haricot noir, maïs, manioc, vigne. Mais la culture tend à se moderniser, malgré la petite propriété et la petite exploitation. En même temps se développait un réseau commercial mettant en relation tous les agriculteurs avec Pôrto Alegre et son industrie ou avec le grand négoce d’importation ou d’exportation. Avant 1914, on y trouve filatures, métallurgie, verrerie, papier, textiles, industries alimentaires, en particulier celle de la bière (13 brasseries en 1900). À partir de 1914, le Rio Grande a beaucoup profité du cycle de l’industrialisation. De 1920 à 1939, la production industrielle a plus que quadruplé; de 1939 à 1949, elle a sextuplé; le nombre des établissements a doublé au cours de cette dernière période, et le nombre des ouvriers a augmenté de 50 p. 100. Il y a donc eu à la fois croissance et concentration technique.Le cycle de l’industrialisationÀ l’époque coloniale, l’industrie était prohibée au Brésil. Il n’existait qu’une petite production artisanale, à moins de considérer la fabrication du sucre blanc dans les raffineries comme une industrie du raffinage. L’industrie textile, qui s’était installée dans le Minas Gerais vers 1750, a été supprimée par décision gouvernementale en 1785. Comme le Portugal était déjà une colonie de l’industrie anglaise, le Brésil jusqu’en 1808 fut la colonie d’une colonie.Après 1808, il est passé sous la domination directe de l’Angleterre. Celle-ci s’est bien gardée d’encourager les industries de biens de production, malgré les efforts de l’intendant Camara pour construire trois hauts fourneaux et des forges. Rio et le Minas ont produit un peu de fonte, mais c’était pour les besoins purement locaux. En revanche, les Anglais ont développé les moyens de transport (chemin de fer, marine à vapeur) pour favoriser l’échange de leurs produits manufacturés contre les denrées alimentaires brésiliennes. Par exemple, entre 1853 et 1885, cinquante-sept voies ferrées ont été ouvertes et un cabotage à vapeur organisé le long de la côte. Un actif ministre brésilien, Mauá, favorisait, aussi bien en Uruguay qu’au Brésil, la construction des voies ferrées, la pose de lignes télégraphiques et même le développement de l’industrie. Mais, en 1889, le Brésil n’avait encore que quarante-huit manufactures. Au nom du libéralisme économique et sous la pression des planteurs, le gouvernement se refusait à toute politique protectionniste. Cependant en 1892, sous l’influence des politiques protectionnistes des États européens, il change d’attitude et aide l’industrie textile. Et comme, pour lutter contre la dépression, il a permis aux banques d’émettre du papier monnaie, le pays connaît une période de boom dont profite l’industrie. Mais c’est seulement en 1914 que l’industrie brésilienne prend son essor définitif. Elle passera par trois phases: prospérité de 1914 à 1930, dépression de 1930 à 1940, prospérité à nouveau de 1940 à 1960.La poussée de 1914-1930 s’explique par les besoins de la guerre et de l’immédiat après-guerre. L’Europe – en particulier l’Angleterre – ne peut plus fournir au Brésil les produits industriels dont il a besoin, et elle ne peut plus investir au Brésil. Or celui-ci possède d’immenses ressources naturelles et a reçu à la veille de la guerre une immigration technique ou prédestinée à la technique: Allemands ou Italiens. Les exportations ayant augmenté, la balance commerciale devient très favorable et les Brésiliens peuvent acheter beaucoup à l’étranger, par exemple des machines. En 1920, ils possèdent une industrie alimentaire (40 p. 100 de la production totale), des industries textiles fondées sur des capitaux japonais et américains (coton) et vendant à des acheteurs allemands, enfin des industries «subsidiaires», filiales des grandes entreprises européennes ou américaines qui trouvent préférable de produire sur place pour éviter les droits de douane. Pour certaines branches industrielles, la filiale brésilienne se contente de conditionner le produit (industrie chimique ou pharmaceutique); dans d’autres secteurs, la filiale possède des ateliers de montage (General Motors, Ford); dans d’autres enfin (ciment), on trouve la matière première sur place, mais on importe le combustible. Finalement, ces filiales ont acquis une grande autonomie et souvent n’ont conservé avec la maison mère qu’un lien financier. En 1921, s’est installée à Sabará, dans le Minas, la première grande usine sidérurgique autonome, la Belgo-Mineira, formée de capitaux français, belges et luxembourgeois et exploitant un minerai de fer de haute teneur (de 65 à 75 p. 100). D’autres s’installent ailleurs. En 1931, la production de fer est de 71 000 t pour l’ensemble du Brésil.Après la crise de 1930, la Seconde Guerre mondiale a donné un coup de fouet à l’industrie, et le développement de la culture du coton dans l’État de São Paulo, sur les terres abandonnées par le café, a entraîné la construction de nombreuses manufactures textiles (20 000 métiers à tisser vers 1950); les industries préexistantes ont connu un nouvel essor.Une tragique instabilité monétaireCe développement économique pose le problème de la monnaie. Celle-ci fut toujours déficiente au Brésil, sauf à la belle époque de l’or noir du Minas. Après 1808, le désordre monétaire est à son comble et la Banque du Brésil, créée en 1808, disparaît en 1829 après avoir émis des billets en trop grande quantité. Une nouvelle Banque du Brésil est fondée en 1851 par Mauá, en même temps que des banques commerciales dans les principales villes. La politique d’inflation pratiquée par la première Banque du Brésil est reprise. Sous la République, la nécessité de donner des salaires aux anciens esclaves, d’indemniser les propriétaires et de développer les affaires du café oblige à la poursuivre: les banques sont autorisées à émettre pour le triple de leur dépôt en métal. Mais elles ne parviennent pas à le faire dans le temps fixé, et l’autorisation qui leur avait été accordée est supprimée. D’où la loi du 17 janvier 1890: sous prétexte que cela se faisait en Angleterre et aux États-Unis, les banques reçoivent le droit d’émettre des billets garantis par des titres de la dette publique. Le Brésil est divisé en trois zones: Nord, Centre et Sud. Dans chaque zone est créée une banque qui peut ouvrir des succursales et émettre des billets qui n’ont cours que dans la zone. Ce sont des banques à tout faire (émission, court et long terme). C’est l’encilhamento , le boom déjà évoqué. À la fin de l’année, l’ensemble des banques a ses émissions gagées, moitié sur l’or, moitié sur des titres de la dette publique. Cette facilité de l’argent engendre la spéculation boursière. Pendant l’année 1891, on assiste à la fondation de 313 sociétés, soit plus d’une par jour ouvrable. En même temps, le change s’effondre. Les importations s’accroissent démesurément et l’or s’enfuit à l’étranger. Les émissions se multiplient: on se contente d’imprimer les clauses propres à chacune d’elles sur des papiers du Trésor. Le gouvernement avait déjà pris une série de mesures: paiement en or de 20 p. 100 des droits de douane, tarif douanier protectionniste. Cela n’empêche pas la débâcle, comparable à celle que connut en France le système de Law. Le grand bénéficiaire de la crise fut le capital étranger, en particulier la London and River Plate Bank: elle aide le pays à restaurer ses finances et prend une part du bénéfice (1898).Par la suite, la monnaie connaît un répit jusqu’en 1906, puis, de nouveau, c’est l’inflation. En 1908, la monnaie fiduciaire en circulation représente 700 millions de milreis , en 1956 elle atteindra 150 milliards. Cet accroissement de la masse monétaire s’accompagne d’une dévaluation du milreis sur le marché des changes.2. L’évolution politiqueÀ la nouvelle de la révolution portugaise de 1820, et réclamé par elle, Jean VI s’embarqua pour le Portugal, malgré l’opposition des Brésiliens et leur crainte de voir leur pays redevenir ce qu’il était avant 1808, c’est-à-dire une colonie du Portugal. Avant de partir, le roi aurait dit à son fils: «Pierre, bientôt le Brésil se séparera du Portugal; s’il en est ainsi, pose la couronne sur ta tête avant qu’un aventurier quelconque ne s’en empare.»Or l’attitude des Cortes portugaises fut très maladroite à l’égard des députés qui y représentaient le Brésil. Elles voulurent ignorer le gouvernement que Jean VI avait créé à Rio. Elles déclarèrent indépendants les gouvernements provinciaux, abolirent les tribunaux carioques et ordonnèrent au prince Pierre de revenir en Europe pour voyager et parfaire son éducation. Une flotte partait pour le Brésil y chercher le prince.Le 9 janvier 1822, Pierre répondit à l’envoyé portugais: «Je reste» (Fico ). Le Dia do fico marque un nouveau progrès dans la voie de l’indépendance définitive. Les troupes portugaises renoncèrent à s’attaquer au prince. José Bonifacio fut nommé ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères et rétablit l’unité du Brésil, un moment menacée par les Cortes de Lisbonne. Lord Cochrane, qu’il avait engagé comme amiral de la flotte, poursuivit les navires portugais jusqu’à l’embouchure du Tage. Au cours d’une journée enthousiaste sur les bords du rio Ipiranga, dans la région de São Paulo, Pierre reçut des dépêches de Lisbonne annonçant que ses actes avaient été annulés. Il se tourna alors vers ses compagnons et lança un cri célèbre: «L’indépendance ou la mort!» C’est le grito do Ipiranga , qui marque le triomphe de l’indépendance. Celle-ci ne devait être reconnue par le Portugal qu’en 1826. Entre-temps, une Assemblée constituante qui avait provoqué des troubles fut dissoute; une commission prépara une charte constitutionnelle, créant un régime parlementaire et sur laquelle le peuple de Rio et le nouvel empereur prêtèrent serment le 25 mars 1824.Deux grands empereursAinsi l’initiative même de dom Pedro, en accord avec le sentiment national brésilien déjà très fort, avait permis d’éviter à peu près complètement la guerre.Pedro Ier eut du mal à suivre la majorité de son Parlement, favorable à un régime parlementaire à l’anglaise. Malgré ses déclarations renouvelées de constitutionnalisme, il préférait s’entourer de conservateurs soumis à ses volontés. Or les conservateurs étaient mal vus, car ils représentaient le parti portugais. Le 7 avril 1831, l’armée étant passée du côté des libéraux et le peuple de Rio s’étant déclaré en révolution, Pedro Ier abdiqua en faveur de son fils, qui devint empereur sous le nom de Pedro II. L’œuvre de Pedro Ier n’avait pas été négligeable. Il avait su faire l’indépendance et la maintenir sans verser trop de sang. Il avait su rallier à lui l’ensemble du Brésil (seul l’extrême Sud se rendit indépendant en 1825 pour former l’Uruguay). Il avait promulgué en 1830 le Code criminel et reçu les premiers immigrants non portugais. Enfin, c’est sous son règne que le café devient une culture notable.Pedro II était mineur. La régence dura jusqu’en 1840. L’abdication avait eu pour cause décisive la révolte de l’armée, qui déchaîna le désordre un peu partout. La Regencia Permanente Trina, c’est-à-dire le triumvirat chargé de gouverner pour l’empereur, dut réprimer des révoltes à Bahia, dans le Pernambouc, dans le Minas, au Pará, au Maranhão et même dans le lointain Mato Grosso. À Rio même, il dut faire face aux extrémistes: d’un côté les «exaltés» dont le chef était José Bonifacio, un des pères de l’indépendance, nommé tuteur du jeune empereur, et de l’autre les «restaurateurs», conservateurs et même réactionnaires.José Bonifacio fut exilé, et le parti modéré triompha. Désormais la politique se fit plus souple, atteignit ainsi une certaine maturité. C’est alors que fut promulgué l’Acte additionnel (12 août 1834). Compromis entre fédéralistes et unitaires, celui-ci créait des assemblées provinciales pour satisfaire les aspirations locales, tout en renforçant l’autorité du gouvernement central (le triumvirat était remplacé par un seul régent). Avec la mort de l’ex-empereur Pedro Ier, le parti des restaurateurs disparut de la scène politique (1834).RévoltesMais peu après éclataient la révolte fédéraliste du Rio Grande do Sul (1835), qui devait durer neuf ans (guerre des Farrapos), et la révolte des Noirs de Bahia qui ne fut qu’une flambée de quelques jours. Un nouveau parti, le parti conservateur, issu de la fusion des «restaurateurs» réactionnaires et des libéraux modérés, triompha aux élections de 1836. En face se formait le parti libéral. Ces deux partis resteront les maîtres de la vie politique brésilienne jusqu’au XXe siècle. L’œuvre des conservateurs ne fut pas négligeable. Ce sont eux qui créèrent le collège Pedro II et l’Instituto historico do Brasil, à Rio.Le second règne est marqué surtout par la guerre civile entre 1840 et 1849 et la guerre du Paraguay entre 1865 et 1870.La guerre civile est le prolongement des difficultés de l’époque de la régence, malgré la grande sagesse du Premier ministre, le duc de Caxias, les mesures habiles prises par le régime (rétablissement du Conseil d’État en 1841) et l’œuvre importante du gouvernement (Code de procédure de 1841). Mais les fraudes aux élections générales de 1840 avaient soulevé l’opinion dans certains États: au Minas, où une armée rebelle de 3 000 hommes fut écrasée par le baron de Caxias, et à São Paulo, où le même général dispersa une troupe de 1 500 révoltés, tandis que les libéraux formaient le Club des patriarches invisibles, qui eut des ramifications dans tout le pays.En 1847-1848 se développa dans l’État de Pernambouc la «révolte de la plage» (revolta praieira ), dirigée par un groupe xénophobe contre les commerçants et les marins portugais. Ce groupe demandait la nationalisation du commerce de gros et même l’expulsion des Portugais non liés par leur famille à des Brésiliens. Malgré plusieurs défaites, les insurgés se battirent jusqu’à la limite de leurs forces, en particulier le célèbre Pedro Ivo qui prit le maquis, et, se trouvant finalement sans ressources, alla se livrer à l’autorité; enfermé dans la forteresse de Lage à Rio, il s’en évada, partit pour l’Europe, mais mourut en chemin.Ces révoltes brisées, la paix régna. D’ailleurs on était à l’apogée du café, et Pedro II se montrait un prince intelligent, à la fois simple et noble, généreux et désintéressé. Sans doute les libéraux lui reprochaient-ils de trop peser sur les décisions du gouvernement. Mais cela n’était pas tellement contraire à l’esprit des institutions d’un pays immense où un minimum de fermeté était nécessaire. D’ailleurs la presse était libre, le délit d’opinion n’existait pas et on a même pu reprocher à l’empereur-philosophe de négliger l’armée. «L’opinion publique, alimentée par une presse vivante (Jornal do comércio do Rio ), faisait son apprentissage, mais l’empereur ne cessait de regretter son défaut de maturité. Le temps seul pouvait le corriger lentement. Dom Pedro comptait sur les progrès de l’instruction publique, et il lui plaisait que, par la présence de savants étrangers ou par le développement d’une littérature brésilienne – c’est l’époque du poète Gonçalves Dias, du romancier José de Alencar –, les choses de l’esprit fussent en honneur dans l’Empire» (V.-L. Tapié).Rôle politique de l’arméeLa guerre du Paraguay dura de 1865 à 1870. Sous le gouvernement du caudillo Solano Lopez, le Paraguay, fort d’une armée de 80 000 hommes, réussit à dresser contre lui le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay. La guerre fut dure, gênée par la difficulté des communications. Malgré la brillante victoire brésilienne des débuts, les Paraguayens ne s’avouèrent pas vaincus. En janvier 1869 seulement, les Brésiliens entrèrent à Asunción, mais Solano Lopez se retira vers le nord où il se battit jusqu’à la mort (1er mars 1870). Finalement, la guerre avait coûté cher en hommes et en argent. Elle avait obligé à créer une armée de terre qui constituera dans l’État brésilien un élément de turbulence et qui, après avoir inquiété la dernière partie du règne, finira par renverser la monarchie.À la recherche d’une doctrine politiqueOr l’Église brésilienne est en froid avec le régime. Deux évêques obligent leurs fidèles à quitter la franc-maçonnerie dont beaucoup font partie. Le ministre Rio Branco, lui-même à la fois maçon et bon catholique, fait prononcer par le Conseil d’État l’annulation des décisions épiscopales. Les deux évêques ripostent, sont mis en prison, l’opinion catholique internationale s’émeut. L’empereur perd une partie de sa popularité chez les catholiques les plus fervents. D’ailleurs il a beaucoup vieilli et voyage souvent hors du Brésil, laissant la régence à sa fille, la princesse impériale. L’abolition progressive de l’esclavage lui aliène les grands fazendeiros du café qu’il avait pourtant créés «barons». Une conjuration militaire l’oblige à abdiquer le 15 novembre 1889.Bien que présidée par un militaire, le maréchal Deodoro da Fonseca, la nouvelle république est gouvernée par les légistes – Ruy Barbosa – et les positivistes – Benjamin Constant Bothelho de Magalhães. Mais l’influence des grands propriétaires l’emporte. La Constitution de 1891, qui se réclame de la devise d’Auguste Comte – «ordre et progrès» –, substitue au régime parlementaire libéral de l’Empire un régime présidentiel maladroitement calqué sur celui des États-Unis. Elle ouvre la porte au caudillisme et aux aventures politiques.À l’abri de ce système va se développer le pouvoir des coroneis , c’est-à-dire des notables qui font la loi à l’échelon local. Ceux-ci représentent un Brésil rural. Mais la Première Guerre mondiale, en accélérant l’industrialisation, et la crise de 1929, en ruinant les planteurs de café, vont provoquer un mouvement d’indépendance des villes à l’égard de la «République des coroneis ». Le triomphe des villes explique l’élection en 1930 du riograndense Getulio Vargas, l’échec de la révolte pauliste contre Vargas en 1932 et le triomphe d’un intégralisme de type fasciste. Le 9 novembre 1937 est proclamé l’Estado Novo, avec une nouvelle constitution qui supprime l’élection, racine du pouvoir de l’aristocratie foncière. Malgré le progrès de l’industrialisation dû à la Seconde Guerre mondiale, à laquelle le Brésil participa aux côtés des Alliés comme il avait participé à la première, Vargas doit quitter le pouvoir en 1945 au profit du faible Dutra. Mais la présidence de celui-ci est un échec économique, et Vargas redevient président en 1950.
Encyclopédie Universelle. 2012.